La BD, tout comme le film d’animation, me paraît l’un de ces parfaits vecteurs d’idées écologiques, écologistes. De par sa capacité à capter et retranscrire poétiquement les éléments d’un paysage, notamment, l’auteur de BD met particulièrement en exergue la « tension » écologique propre à notre époque. Pourtant, comme dans tant d’autres secteurs culturels, l’offre n’est malheureusement pas pléthore lorsqu’il s’agit du rapport au vivant, à la Terre. C’est pourquoi j’ai été ravi que l’on m’offre Le droit du sol, d’Etienne Davodeau.
La trame du livre consiste à mettre en résonance, à travers une itinérance à pied de 800 km, les peintures rupestres de Pech Merle et le site d’enfouissement de déchets nucléaires de Bure. Dans un cas, des Sapiens produisent un témoignage artistique qui traverse les âges, qui enrichit le rapport au monde de l’espèce encore de nos jours ; dans l’autre, des Sapiens produisent un témoignage qui traversera aussi les âges, mais qui s’avère dangereux, irrespectueux pour des congénères qui pourraient « tomber dessus » dans plusieurs dizaines de milliers d’années. Entre ces 2 sites antagonistes, révélateurs de l’évolution humaine, la marche de l’auteur fait vivre le rapport que notre espèce entretient à la Terre et à la terre.
C’est là, pour moi, que réside la force de la BD : elle révèle notre relation à l’ensemble de la planète, à cette abstraction gigantesque, en même temps qu’au sol sur lequel nous vivons, nous cultivons, nous marchons. Elle fait le lien entre les discours parfois trop généralistes et lénifiants à propos de l’impact des humains sur la planète Terre et une approche plus terre à terre, plus localisée, plus appréhendable. Le sol n’est pas qu’une croûte sur laquelle l’humanité peut faire n’importe quoi ; c’est avant tout un milieu complexe, vivant, qui interagit avec chacun de nous (ne serait-ce que pour fournir notre nourriture quotidienne).
De plus, Etienne Davodeau n’a pas son pareil pour faire résonner les sentiments que l’on ressent pendant la marche en itinérance, pour mettre en lumière les petits détails qui poétisent les bivouacs en pleine nature. Grâce à son œil de dessinateur, la marche ne fait pas figure de simple déplacement d’un point A (Pech Merle) à un point B (Bure), comme le ferait un journaliste se rendant à Bure depuis son bureau, mais rend compte d’une expérience révélatrice qui participe à se forger une opinion sur le monde. Aidé en cela par les entretiens (avec notamment un agronome renommé et des activistes) qu’il fit avant son départ, l’auteur me semble évoquer la marche autant comme fin que comme moyen ; comme moyen à la fois de rétablir un rapport sensible au monde et de penser la globalité terrestre.
Une seule petite chose me chagrine dans l’approche de Davodeau : face à la nécessaire dénonciation des impacts incommensurables du nucléaire, jamais ne sont évoquées les alternatives. Que deviendrait notre rapport à la Terre et à la terre lors d’une marche de 800 km, dont la « moitié » du parcours se déroulerait sous les pâles d’éoliennes, au milieu de champs de panneaux solaires et à proximité de mines à charbon ? Nul doute que le droit du sol s’en verrait aussi bouleversé, notamment sur les nombreuses planches de dessin figurant les espaces naturels « infinis » du Massif Central. Dans le livre comme dans la société en général, tout se passe comme si les dénonciations se suffisaient à elles-mêmes. Chaque jour, dans les médias et ailleurs, on dénonce la voiture thermique sans penser à notre rapport à la vitesse et aux distances ; on dénonce les inégalités et la mondialisation en refusant de voir qu’elles sous-tendent notre mode de vie ; on dénonce l’agriculture industrielle sans la moindre envie que nos enfants retournent se « salir » les mains dans les campagnes paysannes pour y pratiquer une agriculture à échelle humaine… Que signifierait pour notre Terre et notre terre, pour notre rapport à la nature et aux paysages, l’arrêt définitif à court ou moyen terme de la filière nucléaire ? J’aurais aimé que cette angle soit abordé, même subrepticement… mais je n’en veux pas à l’auteur, l’écriture d’une bonne BD requiert à n’en pas douter un équilibre difficile à trouver.
Maxime Lelièvre
Et pour d'autres zestes de sauvage, de culture et de voyage...
Dans un registre différent de celui de Davodeau, le philosophe Alexandre Lacroix traite lui aussi de nos rapports aux paysages dans la modernité.
L'écoféministe australienne Val Plumwood n'a pas son pareil pour remettre l'humain a sa place dans la chaîne trophique !
Une autre bonne BD, celle-ci post-apocalyptique, qui, là encore, interroge nos rapports à l'environnement qui nous entoure
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