Traversée de la France, 9ème partie : Du Caylar à Florac

Récit du 29 août au 3 septembre


Voilà 50 jours que nous marchons :


Un signe du destin ? Sûrement... Nous avons conditionné notre venue à un mariage, du côté de Marvejols, à notre avancée. Et comme un miracle nous sommes arrivés au Caylar, au bord de l'autoroute A75, le vendredi soir. Un petit aller-retour en covoiturage, d'une heure à peine, et nous pouvons faire la fête samedi soir ! Un timing inespéré !


La tête et les jambes encore dans le coton, la voiture nous dépose le dimanche après-midi dans le centre-ville du Caylar... La traversée ne peut souffrir d'un kilomètre à pied manquant. La ligne doit être continue jusqu'à Menton, c'est comme ça. Certains s'imposent d'aller courir 2 fois par semaine ; d'autres de manger 5 fruits et légumes par jour... Nous, arbitrairement, avons décidé qu'aucun mètre ne manquerait, que nos chaussures ne rateraient rien du défilé des paysages français. Même dans la marche au long cours, dans cette espèce d'absolu de liberté, on arrive encore à se caler des règles absurdes... Que peut-on y faire, nous sommes humains !


Pour Juju, pourtant en mode Terminator infatigable ces dernières semaines, le gros kilomètre qui nous sépare du camping du Caylar prend les proportions d'une épreuve de triathlon. Terminator ne fait pas bon ménage avec l'alcool. Perso, je suis encore sur le petit nuage de la piste de danse, sur la lancée de l'alcool de poire servi à 5h du matin. 15 minutes de marche en bord de route plus tard, nous achevons notre étape la plus passionnante de la traversée : PMU du Caylar au camping du Caylar.


Voilà 51 jours que nous marchons :


2 " petits jeunes " nous ont rejoint pour partager 4 jours de marche : Marine, petite sœur de Juju, et Arnaud, oncle de Juju plus jeune qu'elle (allez comprendre!). Pour leur baptême du feu, la journée n'est pas des plus belles. 22 km, quasi à plat, nous sont nécessaires pour traverser le plateau du Larzac et descendre dans la vallée de la Dourbie, à Nant. Le GR71 nous sert de guide dans un paysage de steppes herbeuses, qui manque à mon goût d'un peu de caractère... peut-être la faute à un ciel qui reste encore assez largement couvert.


Cependant, le hameau de La Couvertoirade offre une éclaircie sympathique. Ancien haut lieu des Templiers au Moyen-Âge, le village reste encore de nos jours, à des fins touristiques, un décor fort pittoresque. À l'intérieur des remparts, tout est en pierre... si ce n'est le gobelet de notre chocolat chaud. Oui, notre chocolat chaud ! C'est que ça caille aujourd'hui, le weekend a amené une météo de mois d'octobre sur le Causse. L'après-midi s'avère plus joyeuse, le soleil montrant de plus en plus le bout de ses rayons et le paysage s'ouvrant largement sur l'infini des causses.


Voilà 52 jours que nous marchons :

Voilà 53 jours que nous marchons :


Nous marchons sur le Causse Noir, en pleine nature, baignant dans une lumière matinale divine. Les températures remontent doucement depuis hier et le ciel bleu s'installe comme s'il ne devait plus jamais disparaître... les conditions idéales ! Nos deux acolytes son vernis, comme l'avaient été les parents de Juju. Il y a 5-6 jours, nous étions trempés jusqu'aux os pour arriver au Caylar.


Après Lanuéjols, le principal bourg du causse, l'alternance de steppes et de pinèdes laisse sa place aux espaces agricoles. C'est moins inspirant, certes, mais c'est " réconfortant " de savoir que des espaces comme le Causse Noir ne se sont pas encore vidés de toute présence humaine. Et à observer les buses, les perdrix et le chevreuil dans les champs, on se dit que l'agriculture doit être relativement raisonnée dans le coin. C'est l'un des points que je préfère sur les causses : cette apparente harmonie (même si le mot est peut-être un peu fort) entre sauvage et humanité. À confirmer avec des lectures plus poussées, mais le causse Noir, comme celui du Larzac avant, paraît de mon point de vue à l'équilibre. Des espaces sauvages, d'autres dédiés au pastoralisme, d'autres encore à l'agriculture conventionnelle ou agro-écologique, quelques villages et fermes reliés entre eux par des petites routes... Au-delà du plaisir qu'il y a à parcourir ces tableaux paysans intemporels et peu fréquentés, on ressent à pied une certaine paix au sein des causses... une paix qui ne doit pas être étrangère à cette harmonie, à cet équilibre qui émane du paysage. Même si d'autres espaces pendant notre traversée évoquaient également ce lien ténu entre Hommes et sauvage, les îlots que forment les causses, entre 700 et 1200 m d'altitude, portent cette espérance au diapason. De belles pubs vivantes pour Humanité et Biodiversité... et ce même s'il faut bien garder en tête que le modèle de développement du parc naturel régional des Grands Causses ne reste qu'un épiphénomène à l'échelle nationale, notamment du fait de la très faible densité de population humaine ici. Rapporté à la population française, il faudrait peut-être l'Europe entière pour calquer le développement de la région. Les réalités ne sont pas les mêmes en région parisienne qu'en Lozère ; mais à coup sûr, il y a tout de même des enseignements à tirer.


La descente vers la Jonte, serpent aquatique qui sépare Causse Noir et Causse Méjean, est sublime. Depuis 3 jours, la beauté des paysages monte en puissance. Orientée au sud, la forêt prend des allures de Haute-Provence avec ses pins sylvestre et ses chênes magnifiques. Les senteurs exhaltent un goût exquis de Sud de la France. Les pieds roulent parfois sur les pignes de pin, le pas crisse sur le tapis d'épines rousses qui recouvre le sentier. La perspective depuis cette belle forêt, peu touchée par l'activité humaine, s'avère non moins exquise, comme si tout ce que l'on aime du Sud était condensé dans un simple regard.

À Meyrueis, au fond de la vallée de la Jonte, il faut redescendre sur terre pour faire les emplettes des 2 prochaines journées. Heureusement, et ce malgré le racolage sournoi auquel se livrent les restaurants en terrasse titillant nos envies primaires de coca frais et d'aligots fondants, nous remontons illico presto dans le ciel, sur notre ultime plateau de la traversée du parc naturel régional des Grands Causses.


Dire que nous marchons sur un nuage est à peine une image, d'autant plus quand on évoque le Causse Méjean. Les causes font réellement figure de terres célestes, comme isolées du reste du monde ; en hauteur et en contraste avec les vallées habitées et relativement passantes qui les séparent les uns des autres. Le Causse Méjean, c'est le gros cumulus de fin de journée, celui qui domine tous les autres. 


Après une rude montée depuis Meyrueis, nous mettons les pieds sur un géant de calcaire. Entouré par le Tarn et la Jonte qui coulent en contrebas, le massif, en cette fin d'été, ressemble à une savane africaine en saison sèche. Et pour cause : un causse est un immense gruyère qui absorbe les pluies et les retient dans un complexe de cavités et de rivières souterraines. En surface, pas une goutte d'eau, pas un torrent ; sous nos pieds, à quelques dizaines ou centaines de mètres, de grands aquifères où l'eau abonde. Le Méjean est un désert flottant sur un grand lac. Nous marchons sur le toit à sec d'un château d'eau immense. À Meyrueis, en bons caravaniers habitués aux rudesses du désert, nous avons rempli les gourdes au maximum.

Beaucoup comparent le causse à la Mongolie, en rapport aux grands espaces de pâturage consacrés à l'élevage bovin et ovin. En cette fin d'été très sec, il m'évoque plutôt le Lesotho, ce petit pays enchâssé au beau milieu de l'Afrique du Sud. En fin de saison sèche, les reliefs doux, les hautes herbes et le ciel bleu des hauts plateaux africains détiennent ce même caractère qui fait la magie du Méjean.


Au sud-est du causse, nous empruntons de petites routes et des sentiers à la frontière de deux mondes. À notre gauche les prairies infinies ; à notre droite la cassure qui tombe vers la rivière de la Jonte. Magnifique ! C'est tellement bon de voir aussi loin. Le regard qui porte à des kilomètres active chez moi les canaux de la dopamine, il ouvre l'esprit à la grandeur du monde.


Face à cette majesté du paysage, je ne me sens pas petit, au contraire. Je me sens grand, grand de pouvoir contempler la beauté du Massif Central, à 360° ; grand d'avoir sous le coup de mes sens autant de délices tels que la brise sur la peau, la vue sur l'horizon lointain, l'odeur de l'herbe sèche... Pourquoi lis-je à longueur d'articles ou de livres que l'on se sent petit face à la montagne, la mer ou je ne sais quel paysage grandiose ? Ne serait-ce pas l'aboutissement ultime de la séparation arbitraire entre l'humain et la nature ? Déliés de notre environnement naturel, nous le mettons à distance, nous l'extériorisons. Alors oui, dans une telle configuration, comme moi lors de mes premiers treks, on se sent tout petit. On ramène tout à soi ; tout paraît immense au regard de notre petite taille et de notre petite vie. Waouh l'aigle qui vole est immense dans les airs ; waouh le sommet de 3500 m est immense dans le ciel ; waouh les milliers d'années qui ont façonnées cette vallée sont immenses face à mes 30 ans ; waouh, waouh, waouh, tout est immense en montagne, on a compris... Et je suis le premier à le dire !


Mais par cette mise en distance induite par la comparaison perpétuelle et inconsciente de soi au reste du monde, je ressens une espèce de vide spirituel inhérent à notre manière moderne d'être au monde. Chez soi, on ne se sent pas tout petit (à part peut-être pour quelques châtelains...) car on habite l'espace, on se l'approprie. Et de plus en plus je ne me sens pas tout petit au cœur de la nature car je tente de l'appréhender au maximum par mes sens, de me la réapproprier (dans le bon sens du terme), de ne plus mettre un écran de préjugés entre elle et moi. La nature, c'est moi aussi, j'en fais parti. Si le paysage est grandiose, c'est parce que je suis " grandiose " (et oui!), c'est parce que je suis un être vivant tout aussi grand que les autres êtres vivants qui tissent l'écosystème.


Certains philosophes estiment que nous saccageons la nature car nous l'avons mise à distance. Nous sommes responsables de la sixième extinction des espèces et on se sent tout petit en montagne, comme pour conjurer nos mauvaises influences ! Au contraire, soyons grands dans la nature, mettons-nous au niveau de la grâce du monde qui nous entoure et qui nous fait. L'égalité comme tremplin vers le respect, la liberté... et donc le bien-être.


Pour finir en beauté cette journée bénie de la Nature, nous arpentons le chaos de Nîmes-le-Vieux. Ici la dolomite, un dérivé du calcaire plus résistant à l'érosion, forme des géants de roche élégants sur fond de ciel bleu, de beaux nuages blancs et de steppes jaunies. Un régal pour les yeux et l'objectif de l'appareil photo... cet instrument de malheur dont je ne peux me passer mais qui me garde en quelque sorte, malgré moi, dans une certaine posture distante envers ce qui m'entoure. Personne n'est parfait... et en plus j'avoue, je me suis senti tout petit dans ce chaos rocheux merveilleux !

Voilà 54 jours que nous marchons :

J49 : pause mariage 


J50 : Le Caylar, camping des 4 templiers (740 m) ; 15 min ; 1 km ; + 10 m ; - 0 m


J51 : Le Caylar à Nant, camping les 2 vallées (500 m) ; 5h45 ; 23 km ; + 150 m ; - 390 m


J52 : Nant à Lanuéjols, domaine des Pradines (870 m) ; 6h15 ; 22 km ; + 950 m ; - 580 m


J53 : Lanuéjols à l'Hom, bivouac à la ferme-auberge (1080 m) ; 6h30 ; 24 km ; + 650 m ; - 440 m


J54 : L'Hom à Florac, camping du Pont du Tarn (550 m) ; 5h44 ; 24 km ; + 200 m ; -730 m


Max



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