Récit du 18 au 24 juillet 2020
Voilà 8 jours que nous marchons :
Tôt le matin, nous sortons de la tente et quittons notre bivouac de bord de rivière. Même si nous ne savons pas exactement où nous nous arrêterons ce soir, l'étape promet d'être longue. Depuis hier, le soleil semble enfin s'être installé durablement sur le Pays Basque. La montée vers le plateau d'Irau,
bien qu'encore à l'ombre, me fait transpirer une quantité d'eau effarante. Depuis une semaine, je ne me soulage que très peu, l'humidité de l'air se chargeant de me faire évacuer le peu d'eau que tente de stocker mon corps. Juju, elle, arrive au col à peine moite et va pisser... Nous ne sommes pas fait du même bois : le sien est une éponge, le mien est une passoire.
La suée vaut le coup. Le plateau d'Irau, au petit matin, resplendit de mille feux... Et c'est à peine une image ! L'activité pastorale devant être bien gérée ici, les moutons et les chevaux gambadent dans une magnifique steppe de graminées jaunes qui dorent le plateau. On continue le tour du monde, nous
voilà en Mongolie au jour 8. Phileas Fogg, le héros de Jules Verne, aurait mieux fait de voyager 80 jours en Pays Basque... Pas besoin de montgolfière, les pieds suffisent !
Puis on monte vers le sommet de l'Okabe pour dépasser largement les 1000 m d'altitude pour la première fois depuis
Hendaye. Tout au long de la montée, c'est une véritable splendeur. Une matinée à nous faire croire que la grisaille des premiers jours n'était qu'un mauvais rêve. Ça peut paraître bizarre mais je crois vouer un culte à ces plantes somme toute banales que l'on nomme les graminées. Leur petit épis
doré, leur couleur, leur longue tige fine... Tout concourt à faire des graminées l'un des plus beaux vêtements de la montagne. À contre-jour, les flancs de cette dernière deviennent orangés ; le soleil dans le dos ils sont jaunes ecarlate. De quart, la subtilité des teintes rend les photos célestes. On plane, c'est trop beau. On distingue à la base du plateau les basses terres basques, celles des villages,
celles que nous ne regagnerons plus. Désormais, notre chemin n'y redescendra pas...
A Iraty, après un ravitaillement de première importance pour les 4 prochaines journées de marche, nous quittons enfin le GR10 et son balisage devenu trop omniprésent pour nous. Plutôt que de refaire le yoyo entre les fonds de vallée et les crêtes, plutôt que de côtoyer toujours les mêmes sacs à dos qui suivent tous le même chemin balisé, nous optons pour un itinéraire bien plus sauvage et bien moins fréquenté qui nous fera passer demain par le pic d'Orhy, le premier 2000 à l'ouest des Pyrénées. Enfin la carte nous en apprend plus que les marques rouges et blanches qui attirent les GRistes comme les insectes vers la lumière. Je taquine les GRistes alors que j'en fais un peu parti... un peu à la façon des touristes qui ne se considèrent jamais touristes, mais voyageurs ! Dans le voyage, dans la marche, l'important semble être de se distinguer de la masse. Avec Juju, nous ne dérogeons pas à la règle et nous delectons de commentaires et autres " j'imagine que" à propos des autres marcheurs... un peu près toujours à notre avantage. J'en ai un peu honte, mais au moins, depuis Iraty, il y a un semblant de vérité dans notre "distinction sociale du marcheur".
Au bout de deux petites heures pendant lesquelles nous ne rencontrons qu'un autre couple de marcheurs, nous débouchons sur une crête, à près de 1500 m, à la vue exceptionnelle. Il fait beau : belle étoile cette
nuit !
Voilà 9 jours que nous marchons :
La nuit fut douce, le ciel sans lune et sans pollution lumineuse absolument sublime. Emmitouflés dans nos sacs de couchage, nous regardons le soleil se lever au-delà des collines environnantes, loin, très loin sur la plaine. Il se fraie un passage entre les nuages, éclaire par intermittence notre chambre à coucher de luxe. Nous resterions bien une bonne heure allongés sous le ciel rougeoyant et strié par les faisceaux de lumière du soleil... Mais le quotidien du marcheur est aussi fait d'obligations. Ce matin, non pas d'obligations extérieures à notre volonté, mais plutôt le désir de parcourir le reste de la crête de bonne heure, lorsque le soleil encore rasant embrase la végétation (oui oui les fameux graminées jaunes, encore eux). Nous nous accordons un bon quart d'heure de contemplation du ciel puis paquetons "au pas de charge" notre barda. Direction le pic d'Orhy, bien visible depuis notre bivouac.
L'ascension par les crêtes est une formalité... une formalité en terme d'itinéraire j'entends,
pas de dépense physique : ça grimpe sévère pour arriver sur la première "vraie" montagne des Pyrénées côté ouest ! D'en haut, sur la frontière Espagne-France, le contraste est saisissant entre les deux pays. L'Espagne déroule à perte de vue une forêt de hêtres et de conifères ; la France, quant à elle, arbore ses collines pelées par l'activité pastorale.
L'après-midi, nous calons le gouvernail toujours à cheval sur la dorsale franco-espagnole. Des crêtes herbeuses sans fin devant nous, et les deux pays à nos pieds de chaque côté : de quoi se sentir sur le toit de l'Europe. Un toit sous le soleil, sans aucune possibilité d'ombre sauf... les toutes petites "cabanes" en ruine qui devaient auparavant marquer la frontière. Pour le pique-nique, c'est quasi allongés, dans quelques dizaines de centimètres d'ombre, accolés à une cabane, que nous devorons nos sandwichs au pain quelque peu daté de 48 heures. Mais bon, le fromage de brebis et le jambon du Pays Basque sont si succulents...
D'ailleurs, on ne s'en rendrait presque pas compte étant donné notre parcours aérien, mais le Pays Basque s'éloigne au gré des montagnes russes que dessinent les crêtes. Plus à l'est, le Haut Béarn et son caractère plus montagneux nous attend pour demain. Pour la soirée et la nuit, le vallon pastorale et brumeux d'Ardane, côté français, nous permet de redescendre de notre fil tendu entre ciel et terre et de retrouver de l'eau pour le dîner. Littéralement encerclés par les brebis qui broutent dans la brume, nous consacrons notre soirée à écrire et à lire avec le peu de force que nous a laissé notre longue journée sous le soleil brûlant.
Voilà 10 jours que nous marchons :
Aujourd'hui, 2 options. L'une nous fait emprunter 8 km de goudron, l'autre pas. Le choix est vite fait, et même si nous n'avons aucune information sur la seconde option (si ce n'est une trace sur maps.me), nous couperons par l'Espagne à travers la réserve naturelle de Larra pour nous éviter le macadam et le doux bruit des voitures.
Avant l'aventure, nous goûtons une nouvelle fois à un pique-nique "royal" : à l'orée d'un parking pour camping-car, allongés à l'ombre de grands panneaux explicatifs pour randonneurs ! Pas le choix, c'est la seule ombre à des kilomètres à la ronde dans ces montagnes broutées jusqu'à la moelle par les vaches et les brebis pour nous fournir du bon fromage.
Après une petite sieste elle-aussi "royale", décollés juste ce qu'il faut pour rester dans l'ombre salvatrice, nous partons côté espagnol pour une marche de quelques bornes au maximum. Mais très vite, on se rend compte de deux choses dans cette réserve : il n'y a pas un chat, c'est magnifique, et... non en fait trois... il ne coule pas une goutte d'eau ! Un coup d'oeil plus précis à la carte et nous découvrons que la prochaine source se trouve à perpète, côté français, après avoir passé un col. Bon... Nous ne bivouaquerons pas dans la réserve, dommage, et allons devoir marcher un bon bout de temps cet après-midi.
Au fur et à mesure que nous prenons un peu de hauteur grâce au petit sentier, il nous paraît évident que le massif que nous traversons est un véritable gruyère. En terme géologique, un massif karstique... Autrement dit le cauchemar du randonneur en autonomie car, comme le Vercors où les Grands Causses du Massif Central, la moindre goutte d'eau qui tombe ici est immédiatement absorbée dans les entrailles du monstre pour former des cavités souterraines remplies d'eau. Alors on économise l'eau et on avance... et on contemple, car c'est vraiment très très beau !
Nous marchons dans un dédale de parois calcaires verticales sublimes, coiffées de pins et entrecoupées par moment de belles prairies fleuries. Le paysage s'avère forcément embelli par le caractère impromptu de la découverte, nous qui ce matin pensions encore passer par le goudron et ne connaissions même pas ce massif. Le cheminement rajoute lui aussi à la beauté des lieux : nous naviguons à vue sur un minuscule sentier grâce aux traces rouges qui guident le peu de randonneurs qui osent s'aventurer jusqu'ici.
Du col, le gruyère semble immense, le labyrinthe de vallons et de ravines inextricables pour l'imprudent qui tenterait de quitter l'itinéraire balisé. Si une source coulait ici, nous y poserions le bivouac pour admirer la vue jusqu'à l'obscurité. Mais il commence à faire soif, et dans la descente qui dévale côté français, nous prions pour que la source du Marmitou coule. 12 heures après notre
départ ce matin (dont 8h de marche effective), nous entendons enfin le bruit de l'eau sur la roche et posons la tente dans un cirque de montagnes sublime. Bien qu'exténuante, la journée nous confirme que de temps en temps, il est bon en randonnée de se fier à son instinct et de se laisser surprendre.
Voilà 11 jours que nous marchons :
Au petit matin, quelques nuages gâchent la fête. Nous voulons voir notre cirque orienté vers l'est s'embraser. L'étape d'aujourd'hui est courte, alors nous décidons de patienter, jusqu'à ce que l'astre solaire daigne bénir notre petit paradis. Lire "Les clochards célestes" de Kerouac dans un tel environnement donne une vibration toute particulière au roman.
Extrait : "Il n'a pas besoin d'argent. Son sac lui suffit ; avec une paire de souliers et quelques sachets en plastique recelant des aliments déshydratés, il va son chemin et s'octroie des plaisirs de millionnaire dans un cadre comme celui-ci."
La montagne, dominée par le Pic d'Anie (le sommet qui marque notre entrée dans les Pyrénées centrales), vibre elle-aussi des écrits visionnaires du romancier de "Sur la route". Ou comment nature et culture, roman et réalité, se répondent et s'enrichissent mutuellement...
Une série de photos sous le soleil puis nous descendons la vallée peu fréquentée du ruisseau d'Anaye, débouchons sur le plateau de Sanchese et rejoignons le GR10 pour quelques kilomètres afin de gagner le plateau de Lhers.
Demain nous arriverons dans le petit village de Borce ; là où enfin, après 12 jours de marche non stop, nous nous accorderons une belle journée de pause !
Petit précis :
13 jours après notre départ, nous avons parcouru 204 km et récolté pour Humanité et Biodiversité... 180 €. Aïe !
Notre marche parrainée fonctionnant selon le principe de 1 km = 1 €, nous marchons donc désormais "à crédit" !
Pour ceux qui souhaitent nous encourager dans notre recherche de dons pour cette belle association de défense et de promotion de la biodiversité, je remet ci-dessous le lien vers la page de notre marche parrainée :
N'oubliez pas, un don pour cette association jugée d'utilité publique donne droit à une déduction d'impôt de 66%... Un don de 100 € ne coûte donc en réalité "que" 33 € si vous êtes imposable !
Max
J7 : Bord de la rivière après Caro à celle d'Intzarazki (670m) ; 4h45 ; 15 km ; +1100m -660m
J8 : Bord la rivière Intzarazki à la crête de Millagate (1470m) ; 6h ; 20km ; +1410m -610 m
J9 : Crête de Millagate au vallon d'Ardane (1370m) ; 5h30 ; 15km ; +800m -900m
J10 : Vallon d'Ardane à la source de Marmitou (1840m) ; 8h ; 22km ; trop de up and down pour calculer le dénivelé
J11 : Source de Marmitou au plateau de Lhers (1010m) ; 4h30 ; 14km ; +200m -1030m
J12 : Plateau de Lhers à Borce (660m) ; 3h ; 9km ; +600m -950m
J13 : repos à Borce
Écrire commentaire
Milou (vendredi, 31 juillet 2020 22:35)
Votre site est vraiment top.
Max tu as vraiment un don pour l'écriture ! C'est plaisant à lire !
Bonne route les amis.
Milou (vendredi, 31 juillet 2020 22:36)
Contents d'avoir partagé un pique nique avec vous sur le chemin !
moonlight (lundi, 02 novembre 2020 14:41)
bonjour,
je vous lis en ce moment (13 premiers jours) et c'est un vrai bol d'air pur votre odyssée!
Merci