« Le vieux Lakota était un sage. Il savait que le cœur de l’homme éloigné de la nature devient dur ; il savait que l’oubli du respect dû à ce qui pousse et à ce qui vit amène également à ne plus respecter l’homme. Aussi maintenait-il les jeunes gens sous la douce influence de la nature. »
« L’homme qui s’est assis sur le sol de son tipi, pour méditer sur la vie et son sens, a su accepter une filiation commune à toutes les créatures et a reconnu l’unité de l’univers ; en cela, il infusait à tout son être l’essence même de l’humanité. Quand l’homme primitif abandonna cette forme de développement, il ralentit son perfectionnement. »
Chef Luther Standing Bear
Tout est dit ! A travers ces deux court extraits, Standing Bear (Ours Debout), chef Sioux au début du XXème siècle, évoque de manière admirable la spiritualité qui émanait des amérindiens, ces autochtones qui peuplaient l’Amérique avant l’arrivée des colons européens. Système terre dans lequel tous les êtres vivants sont interdépendants, affiliation de l’homme aux autres formes de vie, respect et bien-être de l’homme au travers de ses relations avec la nature…
Il y a 100 ans, cet indien d’Amérique condensait en 7 lignes plus de sagesse écologiste que les longs discours de nos 10 derniers ministres de l’écologie réunis (et encore, un seul parmi ces 10 a incarné 90 % de cette « sagesse » en à peine plus d’un an, entre 2017 et 2018) ! Alors que l’écologie comme science des rapports entre les êtres vivants et l’Anthropocène (l’aire qui voit l’Homme remettre en cause les bonnes conditions de vie sur Terre) n’en étaient encore qu’à leurs balbutiements, Standing Bear, mine de rien, définissait les grands principes qui structurent l’écologie politique contemporaine.
Incroyable mais vrai : Ours Debout, sans avoir eu le privilège de cirer les bancs de l’ENA et des cabinets ministériels, résume les enjeux écologiques avec infiniment plus de justesse que Homard Bouilli et Aigrette Marocaine, nos deux derniers « sages » en charge de nous guider vers un avenir radieux, en accord avec la Terre.
Bon désolé, malgré moi, je verse un tantinet dans le populisme. Je n’aime pas cette idée, mais c’est que la réponse à la pandémie de coronavirus me laisse pantois ! A une crise éminemment écologique, Aigrette Marocaine, dans la droite ligne de son prédécesseur Homard Bouilli et sous le commandement de Carré de barbe blanche, répond par… et bien on ne sait toujours pas. Interdiction de prendre l’avion sur des distances réalisables par le train en moins de 2h30 ? Ça aurait fait une belle jambe à Ours Debout, lui qui a vu sa culture et ses terres ancestrales ravagées par les pratiques « anti-naturelles » des blancs !
En lisant les textes rassemblés par T.C McLuhan dans Pieds nus sur la terre sacrée, il peut être d’ailleurs tentant de se complaire dans le dénigrement de la culture occidentale moderne, celle qui a fait tant de mal aux peuples et aux milieux naturels qu’elle a conquis par la force et/ou l’argent. En effet, « l’homme blanc » a détruit et détruit encore trop, aux dépends de ceux qui ne lui ressemblent pas. L’expropriation des amérindiens ou le massacre des bisons hier, ainsi que l’effondrement de la biodiversité ou l’uniformisation culturelle aujourd’hui, nous le rappelle tristement.
Mais de mon point de vue, ces textes, au-delà de « simplement » révolter le lecteur, doivent tout autant le questionner sur cette autre manière de considérer la Terre. Qu’est-ce que ces peuples animistes, qui reconnaissent toutes entités terrestres dotées d’esprit, nous apprennent de notre propre point de vue sur le monde ? Notre entêtement à considérer les animaux et les plantes comme inférieurs ne conduit-il pas les sociétés modernes à remettre en cause la bonne santé de la Terre, et donc de l’humanité ? Chez les amérindiens, la reconnaissance « intuitive » de l’affiliation de l’Homme avec tous les autres êtres vivants ne faisait-elle pas référence à la parenté scientifique, à l’évolution animale dont nous ne sommes qu’une infime branche ? La conceptualisation d’une unité de l’univers ne révèle-t-elle pas dans leur culture une connaissance profonde des mécanismes écologiques qui régissent notre planète, une prise en compte dans leur vie de tous les jours des interdépendances qui font de la Terre un paradis pour la vie ?
En parcourant ces textes vieux de plus de 100 ans, je suis frappé par l’extraordinaire connaissance écologique des amérindiens. Avant les satellites, la recherche scientifique moderne ou les big data, les indiens d’Amérique semblaient déjà vivre en accord avec des réalités que nous ne faisons qu’effleurer aujourd’hui. La conscience animale (cf. Sommes-nous trop bêtes pour comprendre l’intelligence des animaux?), les systèmes de coopération intelligents entre plantes, la dépendance de l’humain envers les autres êtres vivants pour sa survie (cf. Une espèce à part), le respect de la nature sans quoi l’Homme court à sa perte (cf. Atlas de l’Anthropocène) : des vérités qui paraissaient, il n’y a pas plus de 20 ans, des élucubrations de doux rêveurs ou d’allumés, mais qui aujourd’hui gagnent le champ de la recherche ; des vérités qui ont fondées le mode de vie des amérindiens pendant des siècles !
A force d’essentialiser les cultures animistes ; à force de ne dépeindre les indiens d’Amérique que comme des peaux rouges excitées, coiffées de grandes plumes, qui dansent frénétiquement autour du feu ou discutent météo avec l’aigle du coin ; à force de penser leurs croyances comme inférieures aux nôtres parce qu’ils croient aux esprits de leurs ancêtres et des animaux ; et même à force d’entendre Homard Bouilli, Aigrette Marocaine et Carré de barbe blanche nous parler de la voiture électrique ou de l’hygiénisme à outrance comme l’alpha et l’oméga d’une réconciliation avec la Terre… nous oublions qu’il n’y a pas que la rationalité moderne qui peut être porteuse de vérité.
Attention, apprécier la lecture de Pieds nus sur la terre sacrée ne signifie pas non plus de croire à la possibilité de vivre de nouveau comme les amérindiens, comme des chasseurs-cueilleurs. C’est tout simplement impossible (et pas forcément souhaitable sur une planète de bientôt 8 milliards d’humains) ! Plutôt (et aidé en cela par la lecture d’essai comme Comment la terre s’est tue de David Abram qui décrypte notamment les cultures amérindiennes), parcourir ce recueil de textes permet de prendre du recul sur nos cultures et sur leurs cultures. S’immerger dans leur manière de voir le monde est formidablement enrichissant ; l’exercice a le mérite d’ouvrir des horizons nouveaux.
La vie davantage au grand-air, consommer ce dont nous avons besoin, considérer les animaux et les plantes comme des partenaires conscients plutôt que comme des ressources inertes… même sans devoir complètement renier nos modes de vie et de pensée, il apparaît (au regard de la situation critique que dessine l’Anthropocène) que nous devrions nous inspirer de quelques principes amérindiens pour vivre mieux et en accord avec notre environnement.
A l’échelle individuelle, « pensez amérindien » c’est consommer des aliments respectueux de l’environnement, c’est chérir la contemplation et l’écoute de la vie dans toute sa diversité, c’est ne pas s’enfermer dans un champ purement humain, c’est prendre conscience que nous dépendons de la Terre autant qu’elle dépend de nos actions.
A l’échelle collective, c’est… c’est à Aigrette Marocaine et Carré de barbe blanche de nous le dire. Mince, ce n’est pas gagné ! Mais bon, qui sait, si la majorité d’entre nous se mettent à « pensez amérindien », vraisemblablement que dans quelques années nos responsables politiques arboreront une sagesse bienvenue dans leurs discours et dans leurs actes ; une sagesse à la hauteur de celle de Ours Debout…
Maxime Lelièvre
Et pour d'autres zestes de sauvage, culture et voyage...
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