C'est LA grosse surprise de ce début d'année pour moi ! J'avais raté sa diffusion sur Arte il y a quelques semaines mais le cinéma de Saint-Egrève m'a offert une séance de rattrapage, qui plus est sur grand écran.
Le film est bien plus qu'un « simple » documentaire sur la Mongolie, c'est une véritable immersion vivante, touchante, complexe, parfois drôle, dans la vie mouvementée de Shukhert, un cavalier mongol vivant dans la sublime vallée de Darhad au Nord-Ouest du pays. Lutteur émérite au style inimitable à ses heures perdues, éleveur, pisteur de chevaux perdus dans la steppe, Shukhert est un sacré bonhomme qui fait aussi office, quand les circonstances le réclament, de justicier dans les conflits opposant son peuple aux bandits venus de la Russie voisine. Face à des autorités mongoles peu efficaces pour lutter contre le rapt de chevaux qui finissent en steaks de l'autre côté de la frontière, le cavalier mongol doit lutter avec ses propres moyens. Un cheval costaud, un chien fidèle plein de ressources, des skis en bois artisanaux qu'il se confectionne en une soirée dans la forêt au coin du feu... Surkhert n'a pas les aisances d'Interpol dans sa lutte contre le crime, mais à l'image d'un Rambo intemporel, il est parfaitement adapté et connaît comme personne la vallée de Darhat.
Devant la qualité de la réalisation, les images magnifiques de paysages, les personnages et les situations rocambolesques, le scénario digne d'un western moderne, on se demande parfois s'il ne s'agit pas d'une fiction. Mais non, le réalisateur Hamid Sardar a bien filmé la réalité du quotidien de Surkhet, dans tout ce qu'il a de plus imprévisible. Le tournage a même du être interrompu pendant deux mois pour cause... d'incarcération du héros ! Le rôle de justicier ne pardonne pas les approximations, alors que Surkhet fait parfois erreur sur l'identité des bandits...
Nul doute que Hamid Sardar est un amoureux des grands espaces pour avoir suivi seul le cavalier mongol pendant des mois dans les steppes, été comme hiver, sans assistance et en passant la majeure partie du temps au grand-air. Nul doute qu'il soit également un photographe et un anthropologue aguerri pour réaliser un film de 1h20 d'une telle densité, d'une telle beauté, et surtout d'une telle justesse. On reconnaît dans la quasi-absence de voix-off et de commentaires la philosophie de l'anthropologue, qui souhaite avant tout laisser parler les images d'elles-mêmes. Aussi les interventions « parlées » des protagonistes, Surkhet en tête, ne semblent pas guidés par l'auteur, par une envie de démontrer quoi que ce soit sur le quotidien de ces hommes plus ou moins en marge de la modernité.
Le documentaire, parce qu'il est sublime, qu'il émeut mais ne renvoie aucun jugement hâtif, évite pour moi les écueils consubstantiels à une approche rendezvousenterreinconnueiste. L'approche d'Hamid Sardar, avec laquelle je me sens parfaitement en phase, trouve la bonne formule documentaire dans ce qu'elle ne rend pas compte des Hommes et de leur milieu naturel avec une distance trop prononcée ; tout en ne jouant pas pour autant la carte de l'émotion fugace qui naît forcément en mettant en contact des personnes aux modes de vie différents. Autrement dit, si le cavalier mongol sonne aussi juste, c'est qu'il n'est ni un document froid qui laisse de marbre (type certains reportages Arte de milieu d'après-midi), ni une construction artificielle qui viserait à nous montrer que « le bonheur est possible même si l'on n'a pas de télévision ou de douche italienne, mais que ce bonheur plus sincère, et ben il se fait dans des conditions pas faciles quand même » (type émission à grand succès).
Là, en s'immergeant pleinement dans la steppe mongole, sans artifices ni personne pour juger toutes les 30 secondes que Surkhet « vit de manière simple, aux antipodes de notre vie connectée, en harmonie avec la nature, dans des conditions difficiles mais qu'il semble plus heureux que la plupart de nos concitoyens, blablablabla... », on fait un véritable pas qui prend tout son sens vers le cavalier mongol. Grâce à ce formidable film, on monte à cheval avec lui, on voit la Mongolie contemporaine à travers ses yeux, on comprend l'environnement à travers le prisme de ses représentations culturelles et personnelles... On rentre réellement en contact, on vit l'altérité d'un monde autre sans constamment le ramener au notre. Et ça, ça fait du bien !
Même si le thème de la nature et du sauvage n'est pas central dans le film, je tenais à vous en parler pour sa qualité exceptionnelle et parce qu'il met en exergue d'une manière formidable la notion d'altérité ; cette altérité fondatrice qui donne du sens à certains de mes voyages comme celui au Lesotho en octobre 2019.
Alors si vous avez une bonne heure devant vous, enfermez pendant ce temps dans un recoin de votre cerveau l'identité occidentale et moderne qui vous colle à la peau ; et faites tout simplement connaissance, sans filtre, sans comparaison, avec un homme et son environnement différents. J'espère que vous pourrez vous rendre compte, une fois votre identité quotidienne reconnectée, que cette expérience d'altérité « désintéressée » aura quelque peu modifiée votre vision du monde et donc enrichit votre identité.
Maxime Lelièvre
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marotta.pascalepietro@gmail.com (dimanche, 20 juin 2021 21:08)
Bonjour, pourrais je suivre ce cavalier mongol, qui m'a ému. Merci pour cette aventure