Nausicaä de la Vallée du Vent ; Hayao Miyazaki

Nausicaä de la Vallée du Vent ; Hayao Miyazaki. Culture Max de nature

Je viens d'avoir la chance de visionner au cinéma l'un des premiers films du célèbre réalisateur de films d'animation, Hayao Miyazaki. Nausicaä de la Vallée du Vent, sorti au Japon en 1984, est considéré par beaucoup de critiques comme un chef d’œuvre... et ce n'est pas sa projection dans le cadre d'un festival, au Mélies de Grenoble, qui me fera dire le contraire. Alors que chaque mercredi depuis deux mois je m'apitoie sur la misère cinématographique de ce début d'année 2020, Nausicaä fait figure pour moi d'un véritable bol d'air artistique, en même temps que l’œuvre trouve un écho tout à fait contemporain à nos interrogations écologiques.

 

Bon, le synopsis n'a rien de très original. Sur une Terre post-apocalyptique dévastée par la guerre et la pollution, une forêt toxique ne cesse d'acculer toujours plus les derniers survivants. Comble de la folie des Hommes, ces derniers se livrent une guerre sans merci pour s'arroger l'arme apocalyptique, avec l'espoir qu'elle pourra cette fois leur servir à anéantir la forêt toxique. Seule la population d'une petite vallée bucolique semble relativement à l'abri du tumulte, vivant de vent et d'eau pure. Mais par le biais du crash d'un vaisseau sur leurs terres, les habitants de la Vallée du Vent, et plus particulièrement sa princesse Nausicaä, se retrouvent eux-aussi pris dans le tourbillon de la guerre.

Si on s'en arrête au synopsis, on pourrait être tenté de voir dans ce « vieux » film d'animation un espèce de « Star Wars moisi », aux vagues relents écologistes. Mais non, Nausicaä est bien un long-métrage de qualité, que ce soit pour ces splendides images d'animation, son scénario surprenant et abouti, et surtout pour ses idées accessibles et novatrices sur le rapport à notre planète. Des conceptions de la nature novatrices en 1984, certes, mais toujours à pousser tant bien que mal sur le devant de la scène car encore relativement confidentielles...

Nausicaä de la Vallée du Vent ; Hayao Miyazaki. Culture Max de nature

Sans trop en dévoiler pour ceux qui n'ont pas vu le film et souhaiteraient le faire, l'histoire me semble reposer tout entier sur l'incommunicabilité, la méconnaissance et donc la méfiance des Hommes envers les autres êtres vivants non-humains. Le film ne se centre pas sur les ravages que l'humanité fait subir à la nature puisque la catastrophe a déjà eu lieu ; mais plutôt sur l'incapacité des sociétés humaines à comprendre et ressentir l'environnement qui les entoure et dont elles dépendent. D'où leurs difficultés à tirer des enseignements de l'apocalypse passée et à répondre de manière plus sage aux nouveaux défis...

Seule (ou presque) la figure de la princesse Nausicaä échappe à cet aveuglement coupable et susceptible de précipiter l'humanité à sa perte définitive. De par l'intérêt, la curiosité scientifique et la sensibilité qu'elle porte aux êtres vivants quels qu'ils soient, Nausicaä parvient à rentrer en contact comme personne avec les animaux et les plantes et par conséquent à éviter une nouvelle catastrophe.

 

Même si quelques dialogues et personnages n'échappent pas à la caricature un peu grossière (gardons tout de même en tête qu'il s'agit d'une fable...), je trouve que le film sonne admirablement juste au regard des bouleversements écologiques actuels. Comme je l'ai vécu, il ne les aborde pas essentiellement sous l'angle de l'effondrement inévitable ou de l'hypothétique résolution technologique, mais bien plutôt sous celui d'une cosmologie à repenser. La princesse Nausicaä fait donc un formidable écho aux visées de l'écologie politique, dans ce qu'elle nous invite à trouver les solutions dans une recomposition de notre manière de percevoir le monde. Dans le film, sans prendre la mesure de leurs actes, les Hommes veulent exterminer les bêtes et les forêts car ils en ont peur ; sans se rendre compte que ces Autres, même s'ils ne leur ressemblent pas, représentent en réalité ce qui leur permet de vivre.

Agriculture extensive et chimique, élimination des animaux « gênants », exploitation forestière industrielle... les exemples contemporains ne manquent pas pour illustrer notre ignorance coupable des logiques élémentaires de la nature ; logiques qui font pourtant de la Terre un paradis pour l'espèce humaine. Intégrer les nouvelles connaissances qui tendent à montrer que les terres agricoles ne seront jamais aussi nourricières que si l'on garantit leur biodiversité, que les grands prédateurs tels que les loups sont garants de la vitalité des écosystèmes (voir à ce propos l'excellent film documentaire Marche avec les loups), que les arbres font preuve de sensibilité, d’interactions et d'auto-organisations surprenantes qui font d'eux des êtres vivants à part entière (voir à ce propos le documentaire L'intelligence des arbres), c'est prendre note que toutes les matières organiques qui peuplent notre planète participent à leur échelle au bien-être commun. C'est également prendre conscience que si nous voulons garder une Terre foisonnante de vie et donc viable pour l'espèce humaine, il nous faudra nécessairement redéfinir notre rapport à l'altérité, à tous ces êtres que nous jugeons inférieurs alors qu'ils ne sont en fait que différents.

Nausicaä de la Vallée du Vent ; Hayao Miyazaki. Culture Max de nature

Alors à l'image de la belle Nausicaä, du philosophe Baptiste Morizot Sur la piste animale ou de Frans de Waal dans Sommes-nous trop « bêtes » pour comprendre l'intelligence des animaux ?, aller à la rencontre des végétaux et des animaux sauvages et essayer de les comprendre du mieux possible est une richesse inestimable pour chacun de nous, pour l'humanité tout entière, et bien sûr pour la Terre dans son ensemble. Comme nous le montre Hayao Miyazaki avec brio et grâce, être sensible et rentrer en contact sur un pied d'égalité avec les non-humains est la condition sine qua non de notre bonheur sur Terre. Et ça, nos sociétés modernes en sont encore très loin...

 

D'une manière comparable à celle du sublime long-métrage d'animation Les enfants de la mer, Nausicaä de la Vallée du Vent nous emporte par ses belles images et son écriture foisonnantes de créativité dans un univers visuel et sensible très touchant, qui parle à nos affects écologiques. Par là, ces deux œuvres constituent de mon point de vue des bijoux artistiques « d'utilité publique ».

De nos jours, la problématique environnementale pâtit cruellement de sa non-inscription dans un récit qui fait sens. En axant l'écologie sur les seuls aspects techniques (compensation carbone, zéro déchet, etc.), le débat politique (au sens large) ne transcende pas et cantonne la question au même niveau que tant d'autres. Peut-être pas en poussant jusqu'à la figure prophétique qu'arbore Nausicaä à la fin du film, mais le fait environnemental nécessiterait de dessiner les contours d'un nouveau mythe, d'une idée structurante qui fédère la société, comme avant lui la monnaie, la liberté ou l'égalité. En gardant bien sûr à l'esprit d'y incorporer nos compagnons terriens non-humains...

 

Maxime Lelièvre

Et pour d'autres zestes de sauvage, culture et voyage...

Une plongée fascinante, visuelle, sonore et spirituelle dans le monde des océans, en compagnie de 3 adolescents japonais hors du commun... Un magnifique film d'animation pour adulte !

Ou comment rentrer en empathie avec les animaux que l'on piste est de nature à changer notre rapport à la nature...

Jean-Michel Bertrand nous emmène avec lui lors de ses bivouacs magiques à la recherche d'un jeune loup. Une odyssée magnifique dans la nature sauvage française.


Écrire commentaire

Commentaires: 0