Comme je le mentionne dans la page d’accueil, voyage ne signifie pas forcément destination lointaine. Force est de constater que je me sens parfois plus « perdu » dans certains coins de France qu’à l’autre bout du monde. Même si des coins très touristiques comme le lac Toba à Sumatra ou Alona Beach aux Philippines ont leurs avantages indéniables, difficile de s’y sentir transporté par un fort sentiment de dépaysement… ou alors à considérer que le mélange fouillis entre magasins à bibelots de mauvais goût, pizzerias et touristes anglo-saxons rouges écarlate participent à la magie asiatique. Peut-on vraiment qualifier de voyage une succession d’escales dans les toujours plus nombreux ghettos touristiques de la planète, franchises mondialisées qui n’en sont pas mais qui y ressemblent étrangement. Des vacances (qui n’est pas un gros mot), peut-être…
Et si l’Asie ne se résument pas non plus à des images d’Epinal, telle qu’une dame âgée au chapeau pointu semant du riz les pieds dans l’eau avec en toile de fond le soleil rougeoyant descendant à travers les palmiers, c’est bien nos représentations du voyage qu’il faudrait un tant soit peu revisiter. Malheureusement pour les touristes du XXIème siècle que nous sommes, le temps des premiers baroudeurs insouciants et des hippies des 70’s semble révolu ! Pour rencontrer l’altérité, il ne s’agit plus de se pointer n’importe où en offrant des fleurs ou de la drogue douce ; ou alors à être jusqu’au-boutiste et souhaiter rencontrer la population locale dans les sympathiques, bien qu’un tantinet insalubres, prisons asiatiques.
Alors tout compte fait, à moins de bien choisir sa destination à l’international, certaines montagnes françaises restent une valeur refuge pour nos besoins d’évasion. Et que dire des massifs de Ceüse et des Baronnies, entre Gap et montagne de Lure, qui offrent des panoramas fantastiques sur les Alpes du sud et des vallées apaisantes ? C’est bien ici qu’avec Juju nous avons choisi de rechausser les chaussures au mois de juin 2019 pour 6 jours de trek en autonomie.
Ci-dessous les étapes et les différents points de passage et chemins utilisés. L’altitude est entre parenthèse et le temps de marche est effectif (sans compter les pauses).
1. Gap (700) – Saint Pons (1035) ; 3h30 ; +450 -115 (bivouac abris au-dessus de St Pons)
Cathédrale de Gap – GR653D – PR Viaduc de la Selle – Freissinouse – lac de Pelleautier
2. Esparron (980) ; 5h30 ; +750 -805 (nuit chez l’habitant)
GRP entre Céüse et Durance – Route forestière rocade inférieure – les Guérins – GRP entre Céüse et Durance – col de la Baume
3. Le Bersac (720) ; 6h45 ; +850 -1100 (bivouac champ à proximité du Bersac)
GR93 col des Garcins – lac de Peyssier – GR94 col d’Aujour – Savournon – GR94
4. Trescléoux (670) ; 6h50 ; +1090 -1140 (bivouac champ à proximité de Trescléoux)
GR94 Serres – GR946 crête de l’Eyglière - rocher de Beaumont – GR946 Trescléoux
5. Orpierre (690) ; 4h15 ; +700 -680 (camping d’Orpierre)
GR946 col de Garde
6. Barret-sur-Méouge (650) ; 4h10 ; +600 -640 (chambre à l’auberge de la Méouge)
GR946 col de saint-Ange
On considère que les 2 premiers jours d’un trek servent à se mettre dans le bain… Nous, on s’est littéralement jeté dedans ! Très vite nous sommes trempés jusqu’aux os. Quand au bout d’une heure de marche tu te fais castagner la tête par d’énormes grêlons, ça annonce la couleur. Moi qui craignais la chaleur à mi-juin, on commence avec 2 jours de pluie. Par conséquent nous ne faisons pas le détour par le plateau de la montagne de Céüse (qui doit pourtant valoir le détour par beau temps) pour éviter le brouillard et traçons directement par la piste forestière vers les Guérins et sa micro-station de ski. 20 euros de mémoire pour le pass saison, qui dit mieux ? Un gentil papy nous propose des chaises pour pique-niquer à l’abri et nous offre même pour le dessert une excellente compote maison, bio de surcroît. Une dégustation faisant figure de petit rayon de soleil dans la grisaille. Le bonheur tient à peu de chose en rando itinérante.
La veille nous avons trouvé abri dans la petite annexe bétonnée d’une ancienne bergerie pour éviter de faire subir à la tente les affres de l’orage. L’arrivé du 2ème jour dans le tout petit village d’Esparron, dans le vallon du Déoule, ne nous laisse apparemment pas d’alternative qu’une nuit pluvieuse sous la tente. Mais comme au Népal, il faut croire que nous sentons à qui nous adresser pour nous tirer d’un mauvais pas. Un gars à qui l’on demande s’il y a un gîte ici nous répond que non, mais que l’on peut monter la tente sous le préau d’une ancienne auberge. Banco. 1h plus tard, ayant certainement pitié de notre condition de va-nu-pieds étendant où ils peuvent leurs tristes guenilles détrempées, notre sauveur appelle l’ancienne patronne de l’ancienne auberge. Double banco. Moyennant une petite contribution financière, elle nous ouvre pour la nuit une chambre qu’elle réserve habituellement à ses amis de passage. Chauffage, cuisine et douche chaude pour ce soir, ça paraissait franchement inespéré en fin d’après-midi ! Ne manquerait plus qu’un grand écran raccordé à internet pour se mater un bon film ce soir… A défaut, l’activité sera la même que sous la tente : un peu de lecture, un podcast France Culture (d’ailleurs je vous conseille l’émission Entendez-vous l’éco) et dodo vers 22h pour attaquer le lendemain avec les belles lumières du petit matin. Qui dit trek dit culture ; avoir le temps fait certainement partie des opportunités les plus appréciables qui s’ouvrent pendant la marche.
Les 2 jours qui suivent se révèlent à peu de chose près les antithèses des précédents. Grand beau ! Le spectacle ce matin au-dessus d’Esparron n’en est que plus jouissif. Ce vallon tristement inconnu au bataillon des vallées préalpines resplendit de toute sa volupté printanière. Les fleurs multicolores s’ébattent de partout ; les champs en attente de fauchage brillent d’un vert tapageur ; les marnes noires encore humides, découpant la base des montagnes en dorsales géantes, contrastent avec leurs habits de genêt jaune écarlate ; quelques nuages de la fin de nuit s’accrochent désespérément aux sommets pour décorer quelques minutes de plus cette vallée accueillante. Cela dit, aujourd’hui le ravissement ne se fait pas que par les yeux des randonneurs que nous sommes. Le chant des coucous nous berce pendant la montée. L’odeur si spécifique des genêts nous enivre. Les gouttes d’eau fraîches retenues par la végétation se déposent à notre passage sur la peau et les cheveux. Comment ne pas faire référence à l’ouvrage Devant la beauté de la nature, dans lequel Alexandre Lacroix met en exergue la nécessité de faire appel à ses 5 sens pour se « connecter » avec les essences de la nature. Ce matin ça nous paraît aller de soi ; ça l’était moins la veille sous la pluie.
Je ne sais pas si c’est parce que nous sommes connecté à « haut débit » sur les pulsations de la nature, mais un petit miracle a lieu aux abords du lac de Peyssier. Un loup, oui un loup, traverse le chemin 30 mètres devant nous ! L’apparition est évidemment éclair et le canidé regagne rapidement les sous-bois. Même si l’animal représente une véritable menace pour les éleveurs que je comprends, pour nous il s’agit d’une joie extatique que de mettre une image vécue sur le plus célèbre prédateur de nos montagnes françaises. Qui plus est sur ce petit plateau abritant le lac de Peyssier, une merveille recouverte de milliers de fleurs. Le chant des oiseaux nous raccorde certes avec l’essence de la nature, mais approcher de si près un animal aussi rare à observer donne le frison du sauvage, car il en est l’emblème. Quand bien même le sauvage se trouve partout (chaque oiseau le représente à nos yeux en agissant par lui-même selon ses propres logiques), le loup incarne mieux qu’aucun autre cette magie qui émane des êtres vivants échappant à l’emprise humaine. Pendant l’heure passée dans cette prairie d’altitude, l’espace vibre de sa présence et nous sommes transportés dans un monde dans lequel le loup vit à nos côtés, dans un monde où l’Homme moderne n’impose pas sa patte. Et ça fait du bien ! Il s’agit du genre d’expérience extraordinaire qui me fait mieux comprendre ce que narre Sylvain Tesson dans La panthère des neiges, ce sentiment de plénitude lorsqu’un prédateur sauvage rôde dans les parages.
Nous campons en lisière de forêt non loin de Trescléoux. Un blaireau pointe rapidement le bout de son nez alors que nous préparons à manger. Les aboiements des chevreuils en rut nous réveillent de bon matin… Le sauvage a heureusement encore ses droits dans les Alpes du sud.
Remis de nos émotions et ayant contournés la barre rocheuse calcaire de la montagne d’Aujour (caractéristique des massifs du coin), nous débouchons dans une belle vallée cultivée, moins sauvages que celle d’Esparron mais néanmoins très plaisante à parcourir à cette saison précédant les moissons. Les champs de blé vert-jaune contrastent avec les formations de marnes noires et les bâtisses en pierre du val de Channe, pour dresser de jolis tableaux intemporels de la campagne provençale. Una parcelle déjà pâturée nous accueille ce soir pour y planter la tente et manger nos pâtes, avec en prime une vue imprenable sur les montagnes d’Aujour et de Saint-Genis qui clôture cette excellente 3ème journée.
Le lendemain, après avoir fait quelques emplettes à Serres et passer en rive droite du Buëch, nous empruntons le GR de pays Tour du Buëch, une merveille sur cette portion. De la crête de l’Eyglière sur laquelle nous cheminons, le panorama est dantesque. Au loin, plateau de Bure, Obiou, Grand Ferrand pour le Dévoluy ; Barre des Ecrins, Vieux Chaillol pour les Ecrins ; Tête de l’Estrop… et j’en oublie car une grande partie des Alpes nous tend les bras depuis le nord et l’est de notre nid d’aigle. Merci l’anticyclone, comme ça aurait été tristounet sans toutes ces petites têtes alpines dépassant comme elles peuvent des Préalpes au premier rang ! Une belle photo de classe et un pique-nique royal au soleil, puis nous voilà redescendus plus vite qu’il n’en faut dans la vallée voisine.
De Trescléoux, le cheminement est assez simple à visualiser : up and down ! Nous avons le malheur de nous diriger plein sud vers la montagne de Lure qui s’élève à l’ouest de Sisteron, alors que les massifs des Baronnies ont la fâcheuse tendance à s’orienter dans un axe est-ouest. Un brin fatigués par nos 2 grosses précédentes journées et moi-même étant « victime » d’une belle inflammation du tendon d’Achille, nous décidons d’y aller mollo. On monte sur la montagne au sud de Trescléoux pour redescendre aussi sec dans la vallée voisine où se niche Orpierre, le temple de l’escalade. La fin de la descente s’avère raide, mais elle permet des perspectives impressionnantes en aplomb du village médiéval. Orpierre peut s’enorgueillir de sa situation géographique exceptionnelle en contrebas d’un cirque de falaises calcaires majestueux. Dommage que ce joyau naturel et culturel soit quelque peu terni par l’omniprésence des voitures. Pour des touristes comme nous, mais peut-être aussi pour quelques locaux, il est frustrant de constater que Renault Clio et autres utilitaires Citroën se disputent la place à l’ombre de la remarquable église du village…
Le 6ème jour, rebelote, il faut passer cette fois-ci la montagne de Chabre pour basculer sur la Méouge. Du col de Saint-Ange, la vue sur la vallée du Buëch et le Dévoluy vaut la montée.
Malheureusement à Barret-sur-Méouge le verdict est sans appel : je souffre d’une bursite du tendon d’Achille. Ce mot rigolo reflète une réalité bien moins drôle, puisque le contact de mon tendon d’Achille avec la chaussure devient petit à petit chose insupportable ! Comment avons-nous pu traverser le Népal l’année dernière et devoir stopper au bout de 6 jours dans les reliefs plutôt « conciliants » des Préalpes ? Les excès et les aventures rocambolesques à quelques jours du départ ne doivent pas y être étrangers. Un conseil : avant de vous engager dans un trek en autonomie, devant porter un minimum de 13 kilos sur le dos, faites en sorte que votre corps ne soit pas revanchard de ce que vous lui avez fait subir injustement. Faites vous en un allié plutôt qu’un ennemi et il sera davantage enclin à porter vos envies d’évasion !
Nous ne traverserons donc pas la montagne de Lure pour cette fois-ci. Dommage.
La suite au prochain épisode… Si ma foutue bursite dégonfle d’ici là !
Maxime Lelièvre
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